21/01/2022

"Dans la rue c’est nous qu’on est les maîtres"

Paris16info compte parmi ses illustres lecteurs nombre d’élus du 16ème paraît-il. J’aimerais, par le biais de ce billet, interpeller l’un d’eux, et non des moindres, Gérard GACHET, au civil porte-parole du ministère de l’intérieur, sur un sujet en apparence cocasse mais, au fond, très révélateur de l’état de nos institutions policières ces temps-ci :

pv4euros.jpg

 

Je tiens à rassurer Monsieur GACHET sur mon profond attachement et respect pour cette institution garante -en théorie- de nos droits et de nos libertés de citoyen. Je connais plusieurs fonctionnaires de police qui font très bien leur travail, souvent d’ailleurs sans recevoir en retour une gratification ou une reconnaissance pourtant largement méritées.

 

Ceci étant posé, et bien que la France soit le pays d’Europe le plus doté en policiers par habitant, vos anciens collègues -je rappelle que vous êtes journaliste de profession- ne cessent de nous rappeler qu’il existe dans notre pays des "zones de non droit" dans nos banlieues comme dans nos quartiers , ce qui, je vous le confirme, n’est pas un fantasme même dans le 16ème arrondissement.

 

Aussi je m’interroge, n’y aurait-il pas d’autres priorités, dans le climat d’insécurité actuel, que la verbalisation des piétons qui traversent dans les clous ? Je reconnais qu’un piéton est plus simple à attraper et à verbaliser qu’un cycliste ou un automobiliste, et qu’au final une contravention est une contravention et donc qu’ainsi on remplit rapidement et allégrement les objectifs transmis par vos services aux commissaires d’arrondissement.

 

En plus, en choisissant bien son piéton, un avec une bonne tête, un cabas de courses à la main, dans un quartier bien tranquille et en s’y mettant à quatre, on court quand même moins de risques de se blesser ou d’avoir un blâme qu’en essayant d’interpeller un dealer au Ranelagh ou un chauffard conducteur de 4x4 immatriculé dans le 92 qui connaît peut-être un membre de la famille Sarkozy.

 

Depuis 2008, et de façon croissante chaque année à Paris, vos agents verbalisent à qui mieux-mieux les piétons qui traversent aux passages cloutés sans attendre que "le petit bonhomme soit vert" -en policier dans le texte- et même si il n’y a pas de voiture sur la chaussée.

 

C’est ce qui m’est arrivé, vous l’aurez compris Monsieur GACHET, hier en traversant à 16h00 la rue de Vaugirard parmi une dizaine de personnes. Mon physique avenant de bon père de famille expliquant sans doute que je fus le seul à être interpellé.

 

Mais bon, il faut faire un exemple, j’ai fait quelque chose de très mal : j’ai traversé un peu avant que "le petit bonhomme passe au vert". C’est vilain, très vilain et je me suis empressé de reconnaître ma très grande faute.

 

Mais ça ne suffisait pas et c’est là motif de ce billet ! J’ai reconnu les faits, accepté de payer une amende de 4 euros (ma contribution -si j’ose dire, car j’en paye déjà pas mal- au budget très déficitaire de notre pays), mais ça ne suffisait pas à vos agents !

 

Même si c’est le premier PV de ma vie mon indignation vient du comportement de vos quatre collègues policiers, volontairement provocateurs et insultants, sans doute pour me pousser à la faute et j’imagine ajouter "insulte à agent". Malheureusement pour eux je suis resté d’un calme olympien, durant la demi-heure d’humiliation publique (en m’imposant de rester sur le passage clouté où la circulation avait repris) qu’ils se sont crus autoriser à m’infliger.

 

Vos agents m’ont d’abord demandé mes papiers. Ce à quoi très naturellement j’ai obtempéré courtoisement, à la différence du ton par eux employé, et ai donc présenté ma carte d’identité (avec ma photo et je vous assure qu’on dirait une vraie !). N’ayant jamais été l’objet d’une vérification d’identité, j’ai été très amusé par le petit jeu du brigadier-chef devant ses trois assistants façon "question pour un champion" : vous êtes né où ? vous habitez où ? c’est quoi votre nom ?

 

Après m’avoir  fait passer ce test de culture générale sur mon identité, le plus gradé des gardiens de la paix m’a demandé un justificatif de domicile (vous en avez un, vous, dans votre portefeuille ?) dans le cas où j’aurai déménagé ! Comme je n’en avais pas il m’a dit que c’était très grave. Un ami, capitaine de police, à qui j’ai relaté les faits m’a confirmé qu’il est aberrant de demander un justificatif de domicile lors d’un contrôle d’identité.

Comme je leur demandais si par hasard il n’aurait pas mieux à faire ailleurs, par exemple en bas de chez moi -comme hier- où des jeunes gens venus d’un peu toute l’Ile-de-France, s’abreuvaient de whisky et de bière en fumant de la drogue assis sur les capots de leurs voitures garées un peu partout sur la chaussée et les trottoirs avant d’aller au match, ils m’ont répondu "nous on est du commissariat du 15ème, ce qui se passe dans le 16ème ça nous regarde pas".

 

Mais attendez la suite Monsieur GACHET, c’est encore mieux !

 

Comme j’insistais sur mes droits de citoyen (un gros mots j’en conviens) et voulais connaître leurs noms (après tout eux connaissaient le mien) ou leurs matricules dans le cas où j’aurais souhaité contester (c’est absurde je sais) l’un des auxiliaires noir de peau, m’a répondu avec un large sourire "moi c’est Zoulou". J’avoue ne pas comprendre et j’espère, qu’alors que notre pays se divise sur des questions d’identité nationale, un représentant des forces de l’ordre ne fait pas dans l’exercice de ses fonctions à mes dépends une blague à connotation raciste. Je vous en laisse juge.

 

Enfin, et pour conclure, cher Monsieur GACHET, je vous livre un florilège de phrases que je n’aurais pu inventer : "Ici, vous n’avez pas de droits, c’est nous qu’on fait les lois", "dans la rue c’est nous qu’on est les maîtres" ! Intéressant non ? Il me semblait que les lois était faites par les députés investis au travers du suffrage par le peuple français. Quant à la dernière affirmation, je doute qu’elle soit réellement juste ces temps-ci dans d’autres rues que le paisible et bourgeois 15ème arrondissement (et encore vers Falguière…).

Quel dommage, Monsieur le porte-parole, que vos agents n’usent pas du même ton, juste et policé (si j’ose dire), avec lequel vous vous exprimez si bien. Surtout dans leur mission d’information et de pédagogie en matière de sécurité routière (pas un des quatre agents présent n’a prononcé ce mot durant cette agression que je qualifie d’abus de pouvoir et de harcèlement judiciaire), cela faciliterait sans doute le dialogue. Mais si par mon modeste témoignage, que je vous prie de rapporter à Monsieur le Ministre de l’Intérieur comme à Monsieur le Commissaire principal du 15ème arrondissement, je peux de quelque manière éviter à d’autres de mes concitoyens d’être victime de telle pratique indigne de notre République et de ceux qui la servent, alors cette déplaisante épreuve n’aura pas été inutile.

 

par Antoine Dufour